Cette analyse fait partie du cahier Interopérabilité de candidats.fr, à l'occasion de la campagne présidentielle 2012.

Une politique publique pour plus d'interopérabilité

Une des premières actions pourrait être la création d'un effet d'entraînement, en accélérant la bascule des services publics et des institutions2 vers les logiciels libres. De même, un renforcement du rôle de la Direction interministériel des systèmes d'information et de communication de l'État (DISIC), chargée de suivre, de coordonner et de faire connaître la politique de l'État en matière de développement de l'interopérabilité, apporterait sans aucun doute de la cohérence et de l'efficacité aux actions déjà entreprises. Cette décision irait dans le sens des déclarations du Premier ministre, du 31 août 2011, demandant aux ministres de veiller à « généraliser l’usage des formats libres et ouverts par les administrations »3.

On peut aussi espérer la révision du RGI par l'exclusion du format OOXML de Microsoft4. Les discussions autour du RGI avaient commencé par une promotion des standards ouverts, avec notamment le choix du format OpenDocument pour les échanges de documents bureautiques semi-structurés. Cependant, et suite à un lobbying intense de la part de Microsoft, son format OOXML a finalement été intégré dans le RGI, le vidant ainsi de sa substance : la préconisation de deux formats bureautiques concurrents, l'un étant ouvert et l'autre non, a semé la confusion et limité son potentiel d'interopérabilité, alors même qu'un référentiel préconisant des formats ouverts offrirait de nombreux avantages aux administrations et aux citoyens. Cela permet ainsi d'éviter les abus comme ceux dénoncés la Commissaire européenne Neelie Kroes, comme les situations dans lesquelles il arrive que « les autorités forcent les citoyens à acheter des produits spécifiques (plutôt que n'importe quel produit conforme aux standards applicables) pour pouvoir utiliser un service public. Cela peut être l'école de vos enfants qui insiste sur l'utilisation d'un traitement de texte spécifique ou votre service des impôts dont les formulaires en ligne exigent un navigateur internet spécifique »5.

L'application du Code de la consommation, notamment en matière d'affichage des prix distincts des logiciels et du matériel, donnerait de la visibilité aux offres alternatives respectant ces standards, à l'instar des logiciels libres6. Ce serait là se conformer à la jurisprudence de la Cour de cassation7.

L'introduction en droit français d'un recours collectif permettrait par ailleurs aux consommateurs de participer plus efficacement à la lutte contre les pratiques anti-concurrentielles qui leur portent préjudice, et acterait de ce que les autorités administratives ne peuvent à elles seules corriger les déséquilibres du marché8.

La nécessité d'un droit réel à l'interopérabilité

Quelques acteurs tentent de limiter la distribution de ces informations, notamment par l'existence de licences limitant les conditions d'utilisation et de distribution. C'est le cas notamment des licences RAND (reasonable and non discriminatory, « raisonnables et non-discriminatoires »), bien que le sens exact de ces termes n'ait jamais fait l'objet d'une précision jurisprudentielle ou d'un consensus.

Concrètement, de telles licences impliqueraient que les éditeurs propriétaires puissent conditionner l'utilisation du standard par des tiers au paiement d'une redevance, limiter les utilisations du standard, interdire la redistribution de logiciels utilisant ces spécifications... Cela donne le contrôle complet à une entreprise sur ce qu'est un standard, la seule implication de la licence RAND étant que les conditions soient les mêmes pour tous les tiers dans la même situation. Ces licences RAND sont donc incompatibles avec les logiciels libres car elles mettent les standards à la discrétion des éditeurs propriétaires, alors que les logiciels libres promeuvent l'interopérabilité.

La proposition de loi n°2437[49]9 déposée en mai 2000, par les députés Jean-Yves Le Déault, Christian Paul, Pierre Cohen, Patrick Bloche (PS), visait dans son article 3 à instaurer clairement un droit à l'interopérabilité pour « toute personne physique ou morale ». Dans l'exposé des motifs, les déposants précisent notamment : « Pour garantir l'interopérabilité entre logiciels, il faut que les droits de propriété intellectuelle ou industrielle d'un concepteur de logiciel ne bloquent pas le développement de logiciels originaux compatibles et concurrents. Le droit à la compatibilité pour tous, c'est-à-dire le droit de développer, de publier et d'utiliser librement un logiciel original compatible avec un autre doit être garanti par la loi. Aussi, le principe d'interopérabilité introduit par le droit européen du logiciel doit-il prévaloir sur les autres droits éventuels de propriété intellectuelle ou industrielle. En particulier, l'existence d'une marque sur un standard de communication ou d'un brevet sur un procédé industriel nécessaire à la mise en œuvre d'un standard de communication ne saurait permettre à son détenteur de bloquer ou de limiter la libre diffusion de logiciels compatibles. »

On ne peut donc qu'espérer que le titre premier de la loi DADVSI soit abrogé dans les plus brefs délais, et qu'un texte fondateur soit adopté à la place. Ce texte devrait, comme le prévoyait la proposition de loi10 déposée en 2000, reconnaître explicitement un droit à l'interopérabilité par les standards ouverts, garantir les droits des auteurs et utilisateurs de logiciels libres, réaffirmer clairement l'absence de propriété sur les protocoles, les formats et les méthodes nécessaires à la mise en œuvre effective de l'interopérabilité (principe posé par la loi mais non suivi de dispositions permettant de le mettre en pratique), et sécuriser les pratiques d'ingénierie inverse et de décompilation ainsi que l'utilisation de logiciels rendus interopérables par ce biais.

Valse-hésitation de l'Union européenne

Alors que la première version du Cadre européen d'interopérabilité (EIF, European Interoperability Framework) avait proposé en 2004 une définition claire et précise des standards ouverts11 et avait souligné leur importance pour l'interopérabilité, un retour en arrière a été opéré avec la version 2 de l'EIF12.

L'interopérabilité était pourtant annoncée comme un des principes fondateurs de l'Agenda numérique pour l'Europe, et la Commissaire européenne à la stratégie numérique, Neelie Kroes, avait répété que l'interopérabilité et les standards ouverts étaient essentiels pour la concurrence et pour la société de l'information13. Malheureusement, ces déclarations d'intention ont été oubliées dans la pratique, avec une dernière version de l'EIF qui valide les formats sous licences RAND et ne présente aucune obligation ni incitation claire à utiliser des formats ouverts, qui ne sont d'ailleurs même plus cités dans le texte.

2Voir le cahier n°7 : E-administration.

8Pour plus d'information, voir le cahier consommation.

11Voir paragraphe "Construction de l'interopérabilité par la standardisation".