Cette analyse fait partie du cahier brevetabilité de candidats.fr, à l'occasion de la campagne présidentielle 2012.

Des brevets accordés en contradiction avec les dispositions de la Convention sur le brevet européen

En application de l'article 52 de la Convention sur le brevet européen (CEB)1, les programmes d'ordinateur ne sont pas brevetables. En 2005, en violation de cet article, les États européens ont déclaré refuser tout brevet sur les logiciels « en tant que tels » mais autoriser la brevetabilité de programmes d’ordinateur apportant une contribution « technique », en l’absence de définition de ce terme2.

Or, il s’agit précisément de la doctrine ayant permis à l’Office européen des brevets (OEB) – et l’Institut de la propriété industrielle (INPI) en France3– d’accorder des dizaines de milliers de brevets, par exemple sur un « procédé de décompilation pour la réalisation de graphes au moyen d’un ordinateur » (EP511065)4 ou sur un « système de paiement électronique à travers un réseau de télécommunication » (EP1236185)5. De tels brevets sur des logiciels ou des méthodes intellectuelles informatisées n’ont pourtant rien de différent de leurs homologues déposés outre-Atlantique, et rien ne distingue fondamentalement les logiciels visés par ces brevets des autres programmes d'ordinateur. Cette distinction n'a donc pas lieu d'être et la non brevetabilité de tout logiciel doit être affirmée sans ambiguïté.

La Grande Chambre de recours de l’OEB a elle-même demandé un arbitrage politique dans sa décision du 12 mai 20106. Cette décision fait suite à une saisine de la Grande Chambre par l’OEB, cette dernière demandant d’autoriser certaines pratiques illégales de brevetisation de logiciels au nom d’une soi-disant clarification de la situation actuelle. La Grande Chambre a refusé de répondre aux questions posées, en soulignant que ces questions étaient formulées de façon partiale par l’OEB. Cela démontre l'ampleur des pouvoirs entre les mains de l'OEB.

Une volonté de concentration des pouvoirs en l'absence de contrôle démocratique

L’OEB, soutenu sur ce point par la direction du marché intérieur de la Commission européenne, a soutenu un projet de création d’une Cour des brevets chargée d’unifier le règlement des litiges en matière de brevet européen. Selon ce projet d'accord international, baptisé EPLA (European Patent Litigation Agreement), les juges des chambres de recours de l’OEB devaient siéger à cette cour centrale, les verdicts de la Cour devaient s’appuyer sur la jurisprudence de l’OEB et la Cour devait être dirigée par un organisme désigné par le Conseil d’administration de l’OEB. Ainsi, L'OEB serait devenu autonome du pouvoir politique pour faire évoluer la législation sur les brevets, et de l'autorité judiciaire pour juger de leur validité. Il n'y aurait alors plus eu d'obstacles à la validité des brevets logiciels auxquels l'OEB est favorable.

Les offices des brevets ne doivent pas être juges des titres qu'ils octroient. Leurs fonctions se concentrent sur le maintien d’un registre des demandes de brevets, sans réaliser eux-mêmes d’examen. Le jugement de la validité ou non d’un brevet doit être rendu par une ou plusieurs juridictions dont les juges, afin de garantir leur indépendance et leur impartialité, ne peuvent être liés aux offices des brevets.

Ce projet d'accord, en discussion depuis 2006, n'a, pour le moment, pas trouvé l'écho nécessaire. Le Parlement européen7 s’est inquiété de ce que « le texte proposé requerrait d’importantes améliorations pour répondre aux préoccupations concernant le contrôle démocratique, l’indépendance judiciaire et le coût des litiges et une proposition satisfaisante pour le règlement de procédure du tribunal de l’EPLA ».

Cependant, l'idée d'une Cour des brevets sous contrôle exclusif de l'OEB et du microcosme des brevets a resurgi avec la proposition de règlement sur le brevet unitaire en 2011.

6Pour plus d’informations sur cette décision, voir l’analyse faite par l’April : http://www.april.org/fr/decison-de-la-grande-chambre-de-recours-de-loeb-sur-les-brevets-logiciels.