Cette analyse fait partie du cahier Économie de candidats.fr, à l'occasion de la campagne présidentielle 2012.

Les entreprises du logiciel libre sont créatrices d'emploi, et représentent pourtant un secteur dans lequel le manque de connaissance et de compétences représente une carence importante. En effet, selon une étude OPIIEC/PAC, « Les principaux freins liés aux compétences qui empêchent le développement du logiciel libre sont : « la spécialisation sur d’autres technologies » à 31%, « les compétences insuffisantes et rares » à 16%, « le manque de connaissance des formations » à 10%.»6.

Les solutions libres facteurs d'innovation et de concurrence

L'émergence du Logiciel Libre7 est liée à l'accélération du marché des technologies de l'information et au besoin de compétitivité des entreprises. Les deux idées motrices de la création de logiciels libres sont la liberté d'innovation et l'égalité d'accès au marché. Les logiciels libres sont accessibles à tous par le biais des forges8 et permettent l'accès de nouveaux entrants au marché des Technologies de l'information et de la communication (TIC). De plus, ils permettent à l'utilisateur de conserver la pleine maîtrise de son système d'information. Il est indépendant vis-à-vis de l'éditeur du logiciel, évitant ainsi l'enfermement dans une technologie donnée, mais également vis-à-vis de ses prestataires informatiques, pouvant être remplacés si besoin sans prendre le risque d'une perte de données et de la capacité d'utiliser un logiciel. Cette adaptabilité permet aux logiciels libres une capacité à coller aux besoins des utilisateurs et développeurs. Une saine compétition entre les technologies, les projets ou les acteurs du Logiciel Libre tirent vers le haut le nombre et la qualité des solutions offertes.

Le partage d'efforts de recherche autour des standards ouverts contribue à en améliorer l'interopérabilité et l'adoption à l'échelle mondiale9. Les logiciels libres fournissent aujourd'hui les briques essentielles à la fabrication des systèmes et des applications. Libérées du poids de la réécriture des fonctionnalités de base de leur système d'information, les entreprises peuvent se concentrer sur leur métier et libérer des ressources soit pour la recherche, soit dans de nouveaux développements, soit pour l'amélioration des performances. D'une manière générale, la compétition qu'installe le code ouvert pousse les acteurs du marché à se différencier par une innovation constante sur des cycles courts, tout en collaborant ensemble sur des projets technologiques communs.

L'aspect communautaire de développement de solutions libres permet à l'industrie informatique de sortir de la relation classique « client/fournisseur » pour ouvrir d'autres possibilités de collaboration entre acteurs, au service de la productivité et de l'innovation. Cette transparence contribue à élever le niveau général en réétalonnant le marché vers le haut. Les entreprises profitent de cet aspect communautaire, particulièrement au niveau de la réactivité en matière de gestions de bugs et du développement de nouvelles fonctionnalités. Les entreprises, quelle que soit leur taille, bénéficient ainsi des contributions des communautés de développeurs aux savoir-faire complémentaires. Ce modèle de création communautaire favorise la démocratisation et la diffusion de l'innovation en constituant un patrimoine universel de connaissances, de méthodes et d'outils logiciels accessibles à tous.

Typologie des entreprises du Libre

Les entreprises du Logiciel Libre sont majoritairement des petites et moyennes entreprises. Elles sont en conséquence très sensibles aux politiques de soutien aux PME (Crédit Impôt Recherche, aides à la R&D tournées vers le Logiciel Libre, allègement des formalités administratives, politique de commandes publiques ouvertes aux PME10, stabilité des dispositifs fiscaux pour une visibilité de long terme...). Créatrices d'emplois en France comme les autres PME, les PME du Logiciel Libre embauchent, avec un doublement des effectifs prévus11. L'adoption de mesures favorables au développement des PME, à la recherche et à l'innovation ne peuvent que faciliter cette croissance, lorsqu'elles garantissent un environnement favorable au Logiciel Libre, tel que décrit dans ce cahiers mais aussi dans tous les autres : Brevets, Interopérabilité, Consommation présentent tous des points qui peuvent influencer profondément la santé et la sécurité juridique des entreprises du logiciel libre12.

Le modèle du Logiciel Libre a permis l'émergence dans le monde professionnel de nouvelles entreprises. Elles pourraient être catégorisées de la manière suivante :

  • éditeurs de solutions libres. Leurs revenus viennent essentiellement du développement de fonctionnalités particulières à la demande de ses clients.

  • éditeurs de distribution. Ces entreprises sélectionnent les packages de logiciels libres pour faciliter leur installation et leur utilisation. Elles tirent leurs revenus du support, du fait qu'elles garantissent que les choix en termes de logiciels libres seront pérennes et qu'elles pourront intervenir en cas de problème. Elles peuvent aussi faire de l'intégration, du développement spécifique et des formations.

  • entreprises d'hébergement et d'infogérance des solutions libres. Ces entreprises tirent leurs revenus d'un abonnement qui a l’avantage de constituer un revenu fixe et sécurisant.

  • entreprises de services. Les revenus de ce type d'entreprises proviennent du conseil et du développement spécifique.

  • intégrateurs hybrides. Ce sont des entreprises disposant d'un portefeuille très large de services autour du logiciel libre et faisant l'interface entre les distributeurs, les éditeurs de logiciels libres, leurs experts en interne, la communauté et leurs clients. Ils tirent leurs revenus du service basé sur le conseil et sur le développement spécifique.

La professionnalisation du marché du Libre s'inscrit dans une logique de continuum dans laquelle les modèles « éditeurs » et « services » se rejoignent pour tendre vers des modèles hybrides adaptés aux modes de consommation des clients et des enjeux marché du moment. D'un marché confidentiel et émergent, le Libre est donc en train de pénétrer toutes les couches du système d'information et entre dans une phase de maturité, de structuration et de consolidation.

Organismes à but non-lucratifs

Le modèle de création du Logiciel Libre s'appuie sur un fort investissement humain et sur le partage de valeurs au sein d'un même projet. Les projets comportent des utilisateurs et des développeurs organisés en communautés interagissant autour de systèmes de production de code, de documentation et de mises à jour. Ces organisations regroupent des utilisateurs du monde entier et des équipes pluridisciplinaires, comprenant aussi bien des industriels à travers la publication de recherches et d'outils expérimentaux que des éditeurs ou sociétés de services qui consacrent une part significative de leur chiffre d'affaires en R&D ou encore des contributeurs individuels. Ces communautés s'organisent principalement en organismes à but non-lucratif, dont les objectifs sont la mise en place d'une gouvernance ouverte et l'assurance d'un financement pérenne des projets. Leurs revenus proviennent essentiellement des dons et des adhésions. Ces organismes représentent une part non-négligeable de l'économie du Logiciel Libre par les emplois qu'ils créent, par les projets qu'ils soutiennent ou encore par les manifestations qu'ils organisent.

Des fondations telles qu'Apache13 ou Wikimedia14 (éditeur de Wikipedia) ont des budgets visant à assurer l'accès, le maintien et le développement de leurs solutions libres pour des millions d'utilisateurs. Il existe aussi des associations loi 1901 en France pour le développement de logiciels comme VLC (logiciel de lecture multiplateforme au cône de chantier géré par l'association VideoLan15), ou pour la promotion et la défense du modèle du Logiciel Libre, telle que l'April16.

La majorité des Logiciels Libres sont développés bénévolement par des individus s'organisant sur Internet pour travailler ensemble sur des innovations informatiques qui sont ensuite mises à disposition de tous.

Les mécanismes de valorisation de l'innovation peu adaptés

Le Logiciel Libre est créé par des communautés constituées d'entreprises, d'associations et d'individus. Toutes les innovations issues des nombreuses communautés sont accessibles à tous contre le seul respect de quelques règles juridiques très stables17. C'est grâce à ces organisations ouvertes et très flexibles que le Logiciel Libre participe à l’émergence d'une économie numérique innovante.

Malheureusement les aides économiques créées pour accompagner l'innovation ne favorisent pas de tels succès.

Lorsqu'elles se basent sur des consortiums, la gestion administrative nécessaire au montage de ces demandes d'aide est souvent plus importante que le temps nécessaire aux développeurs initiateurs du projet pour le développer, ce qui les conduit à s'en détourner pour se concentrer sur la réussite technique de leur projet. De même, lorsqu'elles se basent sur des avantages fiscaux, les règles valorisent trop peu souvent les projets qui favorisent la mise en commun de l'innovation.

Par conséquent, les aides à l'innovation accordées à des projets informatiques favorisent largement des innovations propriétaires18, alors même que des projets libres rencontrant de très grands succès (comme le projet VLC qui est le logiciel français le plus téléchargé au monde) vivent sans pouvoir valoriser par des mécanismes publics les innovations qu'ils rendent accessibles à tous.

Valoriser le financement par des acteurs privés de la publication sous licences libres d'innovations informatiques, rendre éligibles à certaines aides des petites organisations ayant déjà fait leur preuve en matière de Logiciel Libre et d'innovations économiques ou sociales, seraient des mécanismes politiques qui favoriseraient le développement de l'innovation numérique sans avoir à révolutionner le système d'attribution de ces aides.

Des entreprises du Logiciel Libre, regroupées au sein du Conseil national du Logiciel Libre19, ont d'ailleurs soumis un questionnaire aux candidats sur leur politique à venir sur les différents enjeux qui préoccupent les entreprises du Libre, questionnaire auquel l'April invite les candidats à répondre20.

1Livre blanc "les modèles économiques du Logiciel Libre"- April http://www.april.org/articles/livres-blancs/modeles-economiques-logiciel-libre.

7Plus d'informations sur l'économie du Logiciel Libre : F. Elie, Économie du logiciel libre, éditions Eyrolles.

8Système de gestion de développement collaboratif de logiciel http://fr.wikipedia.org/wiki/Forge_%28informatique%29.

9Pour plus d'information, voir le cahier interopérabilité

10Plus d'informations sur les marchés publics : voir cahier e-administration.

12Voir cahiers MTP/DRM, brevetabilité, interopérabilité, consommation.

17D'après le "Open Source License Data" de BlackDuck, 90% des logiciels libres disposnibles se base sur 6 textes juridiques appelés licences libres dont les plus populaires ont été créées à la fin des années 1980 et les plus ressentes sont sorties au milieu des années 2000.

18D'après l'étude "Indicateur économiques du Ligiciel libre", seules 8% des entreprises spécialisées dans le Logiciel Libre et membres de l'April valorisent leurs innovations via des aides publiques à l'innovation