Cette analyse fait partie du cahier Consommation de candidats.fr, à l'occasion de la campagne présidentielle 2012.

Définition et contenu du recours collectif

Le recours collectif, ou action de groupe, est une possibilité offerte aux citoyens de s'associer dans une plainte collective portée par une association ou un groupe de victimes : cela permet donc de regrouper toutes les demandes, sans que chacun ait à aller individuellement devant le tribunal pour faire valoir ses droits. Ce type d'action est particulièrement utile pour des litiges pour lesquels le préjudice financier individuel est peu élevé. Une action de groupe peut être fondée sur le principe de l'"opt-in" (les personnes doivent exprimer leur volonté d'intégrer le groupe) ou sur celui de l'"opt-out" (les personnes doivent exprimer leur volonté de ne pas intégrer le groupe). Elle peut porter sur la réparation d'un préjudice et/ ou sur la cessation d'une pratique. Des pays européens comme la Suède, le Portugal, les Pays-Bas ou l'Espagne ont déjà légalisé l'action de groupe1.

A titre d'illustration, il existe très peu de jurisprudence en matière de vente liée matériel/logiciel, sur laquelle les organismes de répression des fraudes nationaux ou les juges pourraient s'appuyer. Cette « pénurie » est due au fait que les victimes, au regard du faible préjudice – et donc des faibles réparations qu'ils peuvent espérer – et de la lourdeur d'une procédure judiciaire, sont dissuadées d'agir en justice. Dans le cas de la vente liée, l'action de groupe serait pour les consommateurs un levier pour faire cesser les pratiques dolosives des fabricants et des distributeurs, mais aussi et surtout pour faire respecter leur droit à l'information, tant sur les prix que sur les qualités des logiciels préinstallés.

Outre l'évidente efficacité de l'action de groupe contre les pratiques dolosives de certains professionnels, ce dispositif présente l'avantage de ne faire qu'une seule procédure là où, sans ce dispositif, la juste indemnisation de toutes les victimes impliquerait d'encombrer les tribunaux de demandes multiples bien que similaires. Enfin, ce serait un moyen pour les individus de faire respecter leur droit à la protection de leurs données à caractère personnel, dont les violations se multiplient malgré les recommandations et les sanctions de la CNIL.

Exigences quant à la réglementation de l'action de groupe

Le droit à la réparation des dommages, ainsi que le droit d'accès à la justice, sont des grands principes reconnus au niveau européen : alors que de nombreux citoyens n'ont pas encore cette possibilité, notamment en raison de l'absence de recours collectifs en France, cette possibilité devrait enfin leur être accordée et ce sans restriction liée à des considérations économiques. Une action de groupe doit couvrir aussi bien l'action en cessation que l'action en réparation, et doit être contraignante au niveau de l'Union européenne. Elle doit également être indépendant du contrôle public de l'application du droit : une absence d'action des pouvoirs publics sur différents dossiers a trop souvent a été constatée.

Dans la mesure où un nombre de domaines aussi large que possible doit être couvert par le recours collectif, il semble difficile d'identifier au préalable et de façon exhaustive l'ensemble des organismes qui pourraient être pertinents. Ainsi, la possibilité d'ester devrait être accordée à la fois aux organisations agréées à l'avance comme les associations de consommateurs, mais aussi à des organismes sur une base ad hoc, par l'autorisation d'un juge. Pour éviter dérives et abus, les organismes devraient pouvoir arguer d'une durée minimale d'existence pour prouver leur légitimité.

De plus, la réparation du préjudice subi ne pourrait que concerner les dommages matériels, excluant donc les préjudices moraux. Le recours collectif doit pour autant regrouper l'ensemble des préjudices matériels, en incluant donc les pertes subies ainsi que les gains manqués. Le droit à l'information2 devrait donc être inclus dans ce cadre, car le défaut d'information représente en effet un préjudice majeur pour les consommateurs qui, par exemple, peuvent croire avoir l'obligation d'acheter des logiciels quand ils acquièrent certains ordinateurs.

Entre consultation, propositions et amendements, toujours rien de concret

En Europe

En 2008, la Commission européenne publiait le Livre vert sur les recours collectifs pour les consommateurs3. Elle constate l'incapacité des consommateurs à agir en justice pour de faibles montants :

"Les consommateurs ont toujours la possibilité de saisir la justice pour obtenir réparation à titre individuel et les litiges de masse pourraient donc théoriquement être réglés par de nombreux recours individuels. Cependant, il existe des barrières qui empêche de facto les consommateurs européens d'obtenir une réparation effective, en particulier des frais de contentieux élevés et la longueur des procédures. Un Européen sur cinq préfère ne pas saisir la justice si le montant en jeu est inférieur à 1 000 euros. La moitié des personnes interrogées déclarent qu'elles renoncent à des poursuites en dessous de 200 euros. Compte tenu des coûts élevés et du risque que suppose une action en justice, les consommateurs n'ont pas intérêt, d'un point de vue économique, à payer des frais de justice, d'avocat et d'experts qui peuvent être supérieurs à l'indemnisation. Les procédures sont si complexes et si longues que les consommateurs peuvent se retrouver enlisés dans une affaire sans savoir clairement quand (et si) elle sera résolue de manière satisfaisante. Seuls 30% des consommateurs estiment qu'il est facile de régler des litiges devant les tribunaux."(Livre vert Commission européenne)

Elle a aussi ouvert une consultation sur les recours collectifs4 au début de l'année 2011. L'April, s'associant à la demande de nombreuses associations de consommateurs, s'est exprimée en faveur d'un réel recours collectif, qui couvre aussi bien l'action en cessation que l'action en réparation, et qui soit contraignant au niveau de l'Union5. Mais, depuis, la discussion a du mal à se mettre en place. C'est pourquoi, le 30 mai 2011, l'April a co-signé avec 12 associations une lettre ouverte6 à la Commissaire européenne en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, Viviane Reding, pour lui demander d'agir sur la mise en place d'un réel recours collectif au niveau européen.

Au parlement européen, un projet de directive porté par le rapporteur Klaus-Heiner Lehne (Parti Populaire) est en discussion depuis la fin de l'année 20117. La solution envisagée est celle d'un recours collectif pour des préjudices d'un montant inférieur à 2 000 euros pour chaque plaignant. Afin d'éviter les dérives du système américain, seul le préjudice subi pourra être réparé.

En France

En France, le débat revient régulièrement sur le devant de la scène, sans pour autant mobiliser l'ensemble de la classe politique. Pourtant, comme le rappelait le Conseil de la concurrence ( aujourd'hui Autorité de la concurrence), dans un Avis du 21 septembre 2006 relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles :

« Deux raisons principales militent en faveur du renforcement des actions civiles et du développement des actions de groupe en matière de concurrence : une meilleure réparation des préjudices subis par les consommateurs et leur association à la politique de concurrence dont le caractère dissuasif en serait globalement renforcé. [...] Les actions privées en général et les mécanismes d’action de groupe en particulier peuvent contribuer à renforcer l'efficacité de la régulation concurrentielle en faisant de la victime, et particulièrement du consommateur, un véritable acteur et un allié des autorités publiques dans la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, notamment les cartels qui sont les plus dommageables. Cette volonté de s’appuyer davantage sur le juge judiciaire au moyen des actions privées pour assurer l’effectivité du droit de la concurrence a été affichée par la Commission européenne dans son Livre vert [« Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante »]. » (Autorité de la concurrence)8

Par une proposition de loi du 26 avril 20069, Luc Chatel, alors député, proposait l'instauration un véritable recours collectif, tout en protégeant notre système judiciaire contre les dérives observées aux États-Unis. Un amendement10 déposé par M. Frédéric Lefebvre, alors député, insistait pourtant sur la nécessité et l'urgence d'une législation relative au recours collectif :

« L’actualité judiciaire des dernières années illustre pourtant l’urgence de l’introduction de cette nouvelle procédure. Faute de procédure efficace à la disposition des consommateurs, une multitude de textes législatifs et réglementaires prévoyant des sanctions en cas de comportements abusifs ou illicites des professionnels n’ont pas été appliqués. La faible saisine des tribunaux par les victimes est aisément compréhensible dès lors que le coût global d’une action individuelle (coût informationnel, déplacements, honoraires…) dépasse le plus souvent le montant du préjudice subi. » (Frédéric Lefebvre)

Cependant, l'action de groupe n'a pas été inscrite à l'agenda par le gouvernement. Au contraire même, son introduction par la voie d'amendements a été rejetée, comme lors du projet de loi sur la modernisation de l'économie présenté en 201111.

De même, de nombreuses propositions de lois n'ont pas abouti12. En 2011, le projet de loi n°3508 "renforcer les droits, la protection et l'information des consommateurs"13 était l'occasion de nouvelles propositions sur le recours collectif14, rejetées une nouvelle fois. Cependant, contrairement à ce que prévoit ce projet de loi, le rétablissement du droit d'accès à la justice pour les litiges de masse à faibles montant ne peut se résumer à l'octroi d'une capacité de saisine, à l'Autorité de la concurrence, des juridictions civiles ou administratives aux fins de voir ordonné,le cas échéant sous astreinte, "la suppression d’une clause illicite ou abusive dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur et également, de déclarer que cette clause est réputée non écrite dans tous les contrats identiques conclus par le même professionnel avec des consommateurs et de lui ordonner d’en informer ceux-ci à ses frais par tout moyen approprié."15. En effet, cet article ne vise qu'à la nullité d'une clause contractuelle illicite ou abusive et ne permet pas la réparation d'un éventuel préjudice subi par les consommateurs. De plus, la saisine des juridictions compétentes dépend du bon vouloir d'une autorité publique, à l'exclusion de toute intervention des victimes de pratiques telles que la vente liée.

1Revue de droit bancaire et financier Jurisclasseur juillet-août 2008, P. Mattil et V. Desoutter, "le recours collectif européen. État de situation"http://mattil.de/veroeff/revue_de_droit_08.pdf.

2Obligation d'information du vendeur au consommateur : art. L111-1 et suivants code de la consommation.

9Proposition de loi n°3055 du 26 avril 2006 http://www.assemblee-nationale.fr/12/propositions/pion3055.asp.

12Voir par exemple : proposition n° 2677 de M. Morel-a-L’Huissier http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion2677.asp ; proposition n°1897 de M. Ayrault http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion1897.asp ; proposition n°424 de M. Desallangre http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion0424.asp ; proposition n°324 de M. Montebourg http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion0324.asp.

15Art.10 VI 5° projet de loi n°3508 renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, http://www.assemblee-nationale.fr/13/projets/pl3508.asp