Le projet de loi « Information et protection des consommateurs » présenté par Thierry Breton au nom du Premier ministre propose un dispositif malheureusement inefficace : bien qu'il repose sur une action collective et une décision unique du juge, le juge ne statue que sur la responsabilité du professionnel, et les réparations font l'objet de demandes individuelles que le professionnel doit traiter au cas par cas. De plus, le champ d'action est limité aux litiges relatifs à la mauvaise exécution d'un contrat, interdisant de fait tout recours concernant des pratiques anti-concurrentielles ou la violation des droits des consommateurs en-dehors du contrat de vente ou de location.

Au contraire, la proposition de loi n° 3055 du député Luc Chatel (UMP) instaurait un véritable recours collectif, tout en protégeant notre système judiciaire contre les dérives observées aux États-Unis. Cette proposition de loi s'inspirait des dispositifs déjà retenus par le Canada et le Portugal.

Compléments

Il existe très peu de jurisprudence en matière de vente liée matériel+logiciel, sur laquelle la DGCCRF ou les juges pourraient s'appuyer. Cette “pénurie” est due au fait que les victimes, au regard du faible préjudice qui leur est causé – et donc des faibles réparations qu'ils peuvent espérer – et de la lourdeur d'une procédure judiciaire, sont dissuadées d'agir en justice contre des pratiques dolosives.

Ainsi le Contrat de Licence d'Utilisateur Final de Microsoft Windows stipule que « si vous êtes en désaccord avec les termes de ce contrat [par exemple si vous ne voulez pas installer Windows], vous devez retourner le produit logiciel à l'endroit où vous vous l'êtes procuré afin d'en obtenir le remboursement intégral. » Or les fabricants et les distributeurs procèdent rarement, et toujours après des procédures lourdes (plusieurs recommandés avec accusé de réception) au remboursement du logiciel non désiré.

Face à ce préjudice de masse (bien que faible pour chaque individu), un véritable dispositif d'action de groupe ou recours collectif permettrait aux consommateurs victimes de ces pratiques de mener une action commune. Outre l'évidente efficacité de l'action de groupe contre les pratiques dolosives de certains professionnels, ce dispositif présente l'avantage de ne faire qu'une seule procédure là où, sans ce dispositif, la juste indemnisation de toutes les victimes impliquerait d'encombrer les tribunaux de demandes multiples bien que similaires.

Comme le rappelle l'Avis du 21 septembre 2006 du Conseil de la Concurrence, relatif à l’introduction de l’action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles :

« Deux raisons principales militent en faveur du renforcement des actions civiles et du développement des actions de groupe en matière de concurrence : une meilleure réparation des préjudices subis par les consommateurs et leur association à la politique de concurrence dont le caractère dissuasif en serait globalement renforcé. (...) Les actions privées en général et les mécanismes d’action de groupe en particulier peuvent contribuer à renforcer l'efficacité de la régulation concurrentielle en faisant de la victime et particulièrement du consommateur un véritable acteur et un allié des autorités publiques dans la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, notamment les cartels qui sont les plus dommageables. Cette volonté de s’appuyer davantage sur le juge judiciaire au moyen des actions privées pour assurer l’effectivité du droit de la concurrence a été affichée par la Commission européenne dans son Livre vert ["Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante"]. »

Dans le cas de la vente liée, l'action de groupe serait pour les consommateurs un levier pour faire cesser les pratiques dolosives des fabricants et des distributeurs, mais aussi et surtout pour faire respecter leur droit à l'information, tant sur les prix que sur les qualités des logiciels préinstallés.

Ce défaut d'information est également flagrant dans le domaine des baladeurs numériques, qui sont aptes à lire certains formats de fichier uniquement, et non l'ensemble des formats couramment utilisés dans la vente en ligne de fichiers musicaux.

L'UFC-Que Choisir, association agréée de consommateurs, a récemment obtenu gain de cause auprès du TGI de Nanterre ; mais d'autres firmes, telles que Apple et Microsoft, continuent d'avoir des pratiques similaires. Cette action n'aurait-elle pas eu plus d'impact auprès des fabricants de baladeurs et des distributeurs de musique en ligne, si l'association avait pu représenter l'ensemble des victimes de cette vente liée ?

Enfin, ce serait un moyen pour les individus de faire respecter leur droit au respect de leurs informations personnelles, dont les violations se multiplient malgré les recommandations et les sanctions de la CNIL.

Extrait de la décision du TGI de Nanterre

Le TGI de Nanterre a condamné Sony pour tromperie, estimant trompeurs « le fait pour Sony de ne pas clairement et explicitement informer le consommateur que les baladeurs numériques commercialisés par elle ne peuvent lire que les fichiers musicaux téléchargés sur le seul site légal Connect » et « le fait pour Sony UK de ne pas indiquer clairement et de façon explicite dans son contrat que les fichiers musicaux téléchargés à partir du site Connect ne peuvent être lus que par les baladeurs numériques dédiés de marque Sony » ; et pour vente liée au motif que « la double restriction d'usage affectant les prestations [de Sony] conduit Sony UK à contraindre à la souscription de deux contrats proposés de fait comme étant dépendants l'un de l'autre : l'exécution d'une prestation de services (la mise à disposition de fichiers musicaux à partir du site Connect) est nécessairement subordonnée à l'achat d'un produit dédié (le baladeur Sony) dès lors que le consommateur souhaite lire les fichiers musicaux qu'il télécharge à partir de Connect sur un baladeur ».