Les réponses de Nicolas Sarkozy sont disponibles au format PDF et l'APRIL a également rédigé une analyse des réponses.


Transcription de la réponse reçue:


Ensemble tout devient possible - sarkozy.fr

Paris, le 20 avril 2007

Monsieur le délégué général,

J'ai pris connaissance avec attention du questionnaire que vous m'avez adressé. Les sujets qu'il aborde revêtent une importance essentielle compte-tenu des enjeux économiques, sociaux, culturels et politiques du développement d'internet et de l'essor du logiciel libre. Je crois que, face à des sujets de cette importance, le rôle du président de la République est d'abord d'affirmer des objectifs politiques, des valeurs, des principes. Je veux en rappeler deux qui sont essentiels à mes yeux. Le premier, c'est qu'il existe une limite aux libertés individuelles, qui est le respect de celles d'autrui. Le second, c'est qu'il n'y a pas de démocratie sans protection de la propriété privée. Garantir le respect des libertés sans porter atteinte au droit de propriété, tel est mon objectif.

Sur les brevets

La protection par les brevets est nécessaire, car en rétribuant les efforts de l'inventeur, elle encourage les entreprises à innover, elle attire les investissements, elle encourage les individus à comprendre, progresser et développer de nouvelles inventions. Cette logique a présidé à toutes les révolutions industrielles qu'ont connues nos sociétés. S'agissant des logiciels, des entreprises françaises expriment le besoin d'une clarification pour pouvoir bénéficier d'une protection plus étendue que celle que leur offre aujourd'hui le système du droit d'auteur. Il s'agit d'une question juridique et technique, qui doit être abordée sans a priori et pouvoir s'appuyer sur des définitions parfaitement claires et acceptées de tous. Nous en sommes loin.

En annonçant pour 2008 un "document de stratégie" concernant les droits de propriété intellectuelle qui englobera à la fois la question des brevets, mais également, parmi d'autres, celles des droits d'auteur, la Commission européenne offre l'opportunité de poursuivre ce débat sur la base d'une nouvelle proposition de compromis. Je considère qu'il faudra préparer très en amont la contribution française à ce débat, dans la concertation la plus large possible. Je veillerai notamment, à cette occasion, à ce que toute protection juridique soit compatible avec le respect des règles de la concurrence.

Je suis favorable à la recherche de solutions pragmatiques permettant de corriger les abus qui pourraient être faits du régime actuel et de préserver la liberté de choix de l'inventeur. Je pense notamment à l'absence de sanctions pour ceux qui profitent de la complexité d'interprétation du droit national et international, tandis que les autres acteurs du marché hésitent, dans la crainte d'une action en contrefaçon, à utiliser un procédé qui a fait l'objet d'un dépôt abusif et serait utile à la collectivité. Je souhaite l'ouverture d'une réflexion sur la création de véritables sanctions en cas d'abus avérés. Je pense aussi à l'égalité devant la loi. Compte-tenu de l'importance des coûts des dépôts et des actions en justice, je propose que nous réfléchissions à la création d'un dispositif du système de l'aide juridictionnelle, qui permettrait aux petits créateurs d'y recourir aussi facilement que ceux qui en ont les moyens.

Sur la propriété intellectuelle

La directive EUCD instaure la protection des mesures techniques de protection, adaptant ainsi le cadre juridique européen aux accords internationaux en vigueur. De façon générale, je suis favorable à la protection juridique de ces mesures au niveau national et inernational. Elles apportent aux titulaires de droits un moyen fort de protéger leur propriété dans l'univers numérique, qu'ils sont libres d'adopter ou non. Ceux qui s'expriment contre cette protection choisissent délibérément d'affaiblir les titulaires de droits en les dépouillant de toute possibilité réelle d'exercer librement leur droit de propriété. On ne peut pas à la fois prétendre défendre la propriété intellectuelle et s'opposer à la protection juridique des mesures techniques de protection. Mon choix a toujours été de défendre la propriété intellectuelle. Il ne changera pas.

Le fait que certains titulaires de droits renoncent de leur propre chef à utiliser de telles mesures, comme on l'a constaté récemment, n'implique pas la remise en question de cette protection juridique. Elle reviendrait en effet à imposer aux titulaires de droits un choix qui n'est pas le leur. Dans un cas, existence d'une protection juridique, nous sommes dans un environnement libre où chacun peut choisir le modèle qu'il souhaite appliquer. Dans l'autre cas, absence de protection juridique, nous serions dans un environnement contraint affaiblissant la protection légitime de la propriété intellectuelle. J'y suis opposé.

Je suis favorable en revanche à une amélioration des modes de règlement des éventuels litiges si des entraves répétées à la concurrence venaient à être constatées, et ce d'autant plus que j'ai la conviction que l'interopérabilité entre les programmes est un enjeu majeur du développement équitable des technologies numériques. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai eu l'occasion d'exprimer que je souhaitais que l'Europe en fasse l'une de ses priorités industrielles. C'est aussi la raison pour laquelle je considère essentiel qu'elle s'impose dans les échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives tout comme entre les autorités administratives.

Je ne reviendrai pas sur la loi DADVSI sur laquelle j'ai eu l'occasion de m'exprimer à de multiples reprises pendant la campagne. Je suis opposé aux orientations induites par vos questions et le bilan prévu à la fin 2007 sera l'occasion de faire un état des lieux de sa mise en oeuvre. C'est ce que j'avais appelé la "clause de revoyure" au cours de la table-ronde que j'avais organisée en janvier 2006 et à laquelle votre association a participé. Je tiens cependant à préciser qu'il s'agit d'une loi sur le droit d'auteur et les droits voisins, et non sur l'informatique et le développement logiciel, même si je n'ignore pas, bien entendu, que ses termes impactent le droit de l'informatique et du logiciel, comme c'est le cas pour un nombre croissant de lois.

C'est pourquoi je propose d'engager un travail d'examen de l'ensemble des dispositions législatives et réglementaires en vigueur sur le sujet. Ce travail permettrait de mettre en évidence les éventuelles incohérences ou contradictions existantes, et d'y remédier.

Consommation (vente liée/recours collectif)

Je pense que pour répondre à la demande de tous, deux modèles doivent coexister : les offres commerciales groupées (qui bénéficient notamment aux utilisateurs peu initiés au monde de l'informatique), et les offres commerciales séparées. C'est le sens des consultations actuellement en cours à la DGCCRF pour permettre au consommateur de choisir librement entre les unes ou les autres, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, ou d'obtenir sans difficulté le remboursement des logiciels effectivement inutilisés. J'agirai en fonction des résultats de ces consultations.

S'agissant des actions de groupe, j'y suis favorable sur le principe. Comment voulez-vous que les Français adhèrent à l'économie de marché si on ne leur permet pas d'obtenir réparation lorsqu'ils sont victimes de pratiques anticoncurrentielles ou abusives ? Je veux veiller, toutefois, à ce que nous ne tombions pas dans les excès d'un système où les victimes auraient en quelque sorte droit de vie et de mort sur nos entreprises. Je ne suis par exemple pas favorable à l'importation dans notre droit interne de principes tels que les "dommages punitifs", ou bien encore à la mise en place d'une procédure qui permettrait, à n'importe quelles conditions, à toute victime d'obtenir des dommages et intérêts sans qu'elle ait à se déclarer elle-même. Par ailleurs, je souhaite que cette réforme s'inscrive dans un cadre plus général de modernisation de notre économie. Nos entreprises ne peuvent pas cumuler tous les inconvénients de nos rigidités et le menace des actions de groupe.

Libertés et données personnelles

Vous soulevez cette question au travers du prisme de ce que vous appelez l'informatique dite "de confiance". Comme j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, je considère que les libertés ne sont pas suffisamment protégées dans l'univers numérique. La première réponse est une véritable modernisation de la CNIL, qui doit en particulier disposer des moyens nécessaires à ses missions, ce qui n'est pas le cas pour le moment.

Industrie logicielle, diversité et formation numérique

J'ai exprimé à de multiples reprises toute l'importance que j'attache à favoriser le développement de l'industrie logicielle nationale, discipline dans laquelle la France excelle et a su produire de brillantes réussites internationales. Je considère qu'elle est capitale pour l'avenir et je souhaite en favoriser la plein expansion dans la diversité de ses modèles économiques, libre ou propriétaire, qui sont d'ailleurs de plus en plus complémentaires.

Il est donc essentiel de garantir une libre concurrence dans ce domaine, en particulier lorsqu'il s'agit de commande publique, mais il n'appartient pas à l'Etat, dans ma conception de la liberté, d'imposer un modèle à qui que ce soit.

De façon plus générale, je considère que l'enseignement informatique prévu au socle commun des connaissances et des compétences doit être renforcé, et inclure notamment l'enseignement des bases essentielles à l'écriture de programmes informatiques. Face aux jeunes Américains, Indiens, Chinois, Canadiens, Québécois, etc., les jeunes Français sont encore largement néophytes en matière de capacité à écrire du code informatique (seuls 16% des internautes de moins de 30 ans savent écrire un programme). Pourtant, cette capacité à écrire du code est la clef de l'indépendance face à la technique. La solution passe par la refonte des programmes éducatifs consacrés à l'informatique, trop centrés sur la pratique, et le renforcement des moyens consacrés à ces formations informatiques. A l'échelle d'une génération, l'enjeu est majeur : en se concentrant sur la pratique, on crée une génération dépendante de la technique ; en se concentrant sur la technique, on crée une génération autonome et capable d'inventer toutes sortes d'usages.

Je vous prie de croire, Monsieur le délégué général, en l'assurance de mes sentiments les meilleurs.

Nicolas Sarkozy